“Demain : Niesen ! Il faudra faire attention à ne pas faire tomber son casque sinon il risque de rouler 2000 mètres plus bas !”

La nuit est très courte et nous voilà en train de pousser nos gros sacs dans le 4×4 de Livio à 6 heures du matin à Cornavin.

Le soleil se lève doucement, le moment est juste parfait pour essayer de dormir un petit peu pendant la route.

Après 2 heures de voiture, nous arrivons. La queue pour le funiculaire de 9 heures se remarque de loin. On risque de monter dans le suivant et arriver un peu plus tard au décollage. Cependant, on se réjouis tous d’y être: Stefanie, Nicolas, Serena, Livio, Reynald et Gilles. L’équipe de Niesenbahn nous propose de réserver la montée suivante qui monte juste après la course de 9 heures déjà bien remplie.

On empile nos sacs en équilibre à l’avant du train et on monte. L’engin s’enclenche et le paysage du Lac de Thoune se découvre petit à petit derrière les pentes. Qu’est-ce qu’elle est longue et haute cette pyramide appelée Niesen quand même !  Je commence à stresser. Je ne sais pas si c’est la respiration coupée par le masque, le vieux funiculaire qui tremble ou le fait de voler dans les Alpes fin juillet avec une nouvelle voile mais je me réjouis d’être en l’air.

Nous voici au décollage. Quel somptueuse pente ! Le cadre est exactement comme on me l‘avait décrit et effectivement, il faudra bien l’accrocher, ce casque.  J’ai l’impression que tout le monde marche sur la pointe des pieds tellement c’est raide. Je vois beaucoup de pilote qui tentent de monter leur voile.

Je me pose quand même la question si je ne vais pas redescendre même si le train me fait plus peur que ce décollage. Je m’assieds avec ma barre de céréale sucrée et je regarde Stefanie concentrée pendant sa préparation minutieuse. Je me dis « Ce n’est pas une bonne idée, Calina. Voile exigeante, conditions toniques, peu d’heures de sommeil. Si je décolle et que je sens que ce n’est pas pour moi, je poserai. Je gagnerai une baignade au Lac de Thoune ».

Les premiers courageux décollent et tentent les thermiques de 10 heures qui déclenchent depuis les faces est. Ça donne vraiment envie d’y être. Le reste de l’équipe est déjà en l’air quand je me prépare. Un rythme dans les oreilles stimule ma concentration. Ca y est ! Je lève ma voile qui accompagne en douceur ma pirouette et go! Le premier thermique donne sur le lac et l’arrivée au plafond se fait en douceur. Je suis à cheval de la chaîne qui part du Niesen en direction Sud-Ouest. J’aime commencer le vol à côté d’autres ailes car cela permet d’évaluer et mieux exploiter les conditions. Quelques minutes après, la voile en face de moi prend une ample fermeture frontale et chute de plusieurs mètres mais recommence vite à enrouler à nouveau les ascendances. J’avance et je travaille tous les thermiques que je rencontre en essayant de rester autour des 3000 mètres d’altitude.

Certes, je sens être lente, mais cela me permet de prendre le temps de choisir la meilleure direction à prendre et de regarder où les nouveaux nuages se forment. Pour la première fois depuis que je vole, je croise un grand vautour. J’aperçois le glacier de la Pleine Morte, et plus loin le Mont Blanc, le Lac Leman ainsi que mon turnpoint : la Berneuse à Leysin.

Je suis presque à la moitié de mon parcours, bientôt 50km dans la poche. Cependant, perdue dans mes réflexions concernant les conditions météo à venir, je me rends compte que la crête que j’ai choisie ne donne pas beaucoup et que je n’arrive vraiment pas à remonter. Je zérotte pendant un moment mais un 10-15km/h de Sud-Ouest me contre, et même si je passe sur la face Sud-Est encore bien chaude à 14 heures, je dégueule. La vallée qui va me recevoir n’a pas l’air large et accueillante.

Il s’agit plutôt d’une vallée étroite en fer à cheval. Je regarde autour pour trouver un plan B, mais c’est trop tard : je suis coincée sous le vent et si je colle la crête, je suis contrée par l’Ouest qui lèche la chaîne montagneuse que je survolais précédemment. Ne souhaitant pas poser en bas de cette vallée, j’atterri dans une pente à 1800 mètres. Je suis déçue de mon erreur survenue si vite et qui me coûte la continuation du vol. Il y a eu tellement de « premières fois » pendant ce vol que je suis encore dans l’ébriété de vouloir voler. De plus, derrière moi, une rue de cumulus vers le Niesen continue de se former. “Mais qu’est-ce que je fous au sol à 14 heure 30 avec ces conditions ?”. Je pack, je cherche sur les cartes un décollage Ouest envisageable sur la même montagne et sans même me poser la question de rentrer à pied ! Mais pourquoi? J’ai déjà fait un beau premier vol dans les Alpes avec un décollage au master Niesen !! La journée est déjà gagnée.

Je remonte droit au sommet après 400 mètres de dénivelé montés à quatre pattes avec mon gros sac.

Je trouve un terrain qui me semble être celui avec le moins de cailloux dont l’orientation est face au Sud-Ouest. Je sens les ascendances se rejoindre sur cette pointe panoramique.

Je suis à 2200 mètres et je me réjouis de ce décollage difficile en mode « xAlps ».

L’adrénaline est inexplicable. La brise souffle des deux côtés du sommet, je sors mon matériel.

L’état émotionnel d’hilarité m’envahit : la beauté de cette chaine, les conditions, la hauteur, l’envie de réussir à partir de ce cauchemar avec un dernier glide vers un village accessible.

Je me rends vite compte que la pente au Niesen n’était rien comparée à la seule option que j’ai sur ce Gummfluh.

Ici, c’est le Niesen 2.0 et je suis toute seule cette fois.

Ma voile recouvre tous les cailloux de cette pente qui n’est guère accueillante.

Puisque je me retrouve au sommet de cette chaine pointue, la brise de pente du côté Nord-Ouest se renverse sur mon bord d’attaque qui fait glisser la voile sur mes pieds.

C’est super !

Je recule sur les derniers cailloux derrière moi pour la regonfler mais les suspentes s’accrochent à ces morceaux de roche aiguisés.

Je redescends plus bas, la brise dans la nuque, je tire à nouveau sur ma voile qui semble ne pas respirer la même brise que moi.

Le bout d’aile droit s’accroche au rocher et bloque sec l’aile.

Je pense à toutes mes heures de gonflage au terrain, à mes suspentes fragiles, au sacre XAlps 2019, à ma manière d’être maniaque avec mon matériel, à mon obstination à miser tout sur ce décollage et même au fait que je possède cette voile depuis juste trois semaines.

Pourquoi aller dans le sens de cette connerie ? Je la prends en boule pour redescendre plus bas puisque cette pente verticale m’empêche d’étaler mon aile correctement.

Bien évidemment j’accroche tous les plantes et cailloux que je croise en descendant mais étonnamment je garde mon calme face à la colère mixée à l’envie de décoller.

Je marche sur mon bord d’attaque juste au moment où je reçois un appel du travail, je sens les genoux mous, je panique à l’idée d’avoir bousillé jusqu’à ce point ma meilleure compagne de vol.

Je plie, en larmes et je me prépare à descendre ces 2200 mètres raides à pied, sans eau, avec une cloque et l’envie de voler.

J’apprendrai encore une fois que parfois, si les choses ne se déroulent pas correctement, c’est parce que derrière, il y a une raison ou parce que le moment ne doit juste pas se passer.

50 mètres plus bas, la pente prend une forme un peu plus douce sur quelques mètres pour après s’arrêter et descendre à pic sur une falaise rocheuse.

J’ai peur de moi-même quand je réalise que je suis à nouveau en train d’ouvrir mon sac.

« Ça sera dos voile cette fois », je conteste.

De plus, ma ligne de vie est bien délimitée par la fin de la pente et le début du précipice.

La brise de pente désorganise ma préparation, mais peu importe : les suspentes sont bien démêlées au-dessus du tissu, je m’attache à la sellette, j’allume mes instruments et, les avants dans les mains, je cours les 2 mètres qui me restent pour donner la bonne impulsion à l’aile qui monte très vite sur ma tête.

Mon dernier pas est sur cette limite évidente que je ne vois même plus car mon Ikuma vole déjà dans son thermique et s’éloigne, joyeuse, de ce relief imposant qui reste dans l’ombre.

Je me trouve déjà à 100 mètres au-dessus de la crête quand je regarde avec insistance l’endroit de mes péripéties.

Quelle folle suis-je ! Mais quelle émotion ! Et qu’est-ce qu’elle est belle cette montagne qui vient d’être mon pire adversaire face à mon envie de m’échapper !

Le dernier glide au coucher de soleil me clarifie les idées, me concerte avec mon aile et après un dernier virage sur le lac de Rossinière, je pose proche de sa petite gare.

Encore maintenant, les sensations de cette journée tremblent dans mon ventre.

Ce fut une farce de découvertes et d’émotions. Encore une fois j’ai appris des nouvelles choses de ce sport, j’ai reconnu mes défaut et qualités pendant des situations délicates.

 

Je suis rentrée à la maison avec un autre paquet d’expérience, d’envie de voler encore plus, de faire encore mieux, mais surtout de mieux savourer avec les yeux et l’esprit chaque moment qui n’est jamais égal aux autres instants.