The D Day
Après 2 semaines, notre aventure – fait de haut et de bas – touche à sa fin. En effet, il ne nous reste plus qu’une journée de vol avant de prendre notre avion pour rentrer en Europe et ce dernier jour restera gravé dans notre mémoire pour un bon bout de temps ! Cette journée, où 6 pilotes passeront 500km, a été remplies de signes nous indiquant que celle-ci allait devenir très spéciale. Les premiers sont apparus déjà la veille. Yael, Clément et moi-même sommes évidemment déçus de notre deuxième semaine et pendant que je finis ma « traditionnelle » visite de Patu, commence un échange sur WhatsApp :
Moi : « We f***** up week 2 »
Yael : « Il reste demain, on donne tout »
Clément : « Demain, c’est comme au poker ; on fait tapis ! »
Moi : « … et on rafle la mise 😊 »
Yael : « Yes, on se voit dès que possible pour faire un briefing »
Nous avons commencé ce briefing par regarder de très près les différents modèles météo. Il était évident que le vent allait être fort voire trop fort ; certains modèles montraient 50 à 60 km/h jusque dans les basses couches. Faire un record oui mais pas à n’importe quel prix donc nous sommes très vite tombés d’accord pour ne pas se mettre dans le rouge si les conditions sont trop dangereuses même si cela est notre dernier jour. Cela a pour conséquence de nous enlever une pression supplémentaire. S’ensuit une discussion sur comment aborder cette dernière journée. Nous arrivons à la conclusion qu’il faut que l’on se focalise sur le moment présent, sur le vol en lui-même et non sur le résultat. Cela paraît anodin mais permet d’avoir le relâchement nécessaire pour exploiter au mieux les conditions particulières du Sertao, notamment pour survivre aux premières heures de vol du matin. Par la suite, Andy se joint à nous, nous écoute attentivement et nous glisse quelques phrases en guise de coaching. Il nous dit d’abord qu’il n’a aucun doute sur nos capacités à aussi faire un vol de 500 kilomètres et rajoute sur le ton de la plaisanterie « de toute manière demain, je n’organise aucune récupe pour ceux qui posent avant 10 heures du matin » ! Le message est visiblement bien resté dans notre mémoire.
Ready to take off
Le “French speaking” team à l’attaque
6 pilotes ont été treuillés à Caico le matin du 12 octobre et les 6 ont posé à plus de 500 kilomètres ce jour-là!!!
Pendant le petit déjeuner de ce fameux 12 octobre, les 6 pilotes présents à Caico – Pascal, Sebastian, Michi Sigel, Yael, Clément et moi-même – échangeons sur les derniers modèles météo. La force du vent est au milieu des discussions et nous ne sommes pas certains de pouvoir décoller. Andy, d’un flegme imperturbable, nous explique que son équipe peut nous treuiller même avec 50km/h de vent car le câble nous retient au moment de gonfler l’aile et qu’il faut « juste » accepter de voir le sol défiler en marche arrière lors du treuillage !!! J’ai d’un coup du mal à avaler mon omelette et décide de me concentrer sur les derniers modèles d’XCskies qui permettent de voir la force du vent en coupe. Et ce que je vois devient encourageant : le vent sera effectivement présent dans les basses couches (30 à 35km/h) mais surtout que le vent fort (50 km/h) que nous redoutions tant passe en dessus de la couche convective, c’est-à-dire que nous n’allions pas le ressentir près du sol. Je partage cette bonne nouvelle et nous voilà en route pour l’aéroport de Caico.
Le point bas de Yael
Sur place, le vent est bien là, les barbules aussi et les premiers Urubus enroulent les premières bulles thermiques. Clément et Yael m’ont délégué la tâche de donner le « go » quant à l’heure du décollage. Je peux maintenant le dire : les 10 minutes suivantes ont été longues, très longues et de voir les barbules se former aussi derrière la piste, c’est-à-dire sur notre axe de vol a été une délivrance car il était temps de se mettre en l’air. Très rapidement, nous arrivons à nous retrouver et après quelques tours dans le premier thermique de la journée, vient le moment d’attaquer la première transition. Mon GPS indique une vitesse sol de 107 km/h mais nous tombons du ciel. Le scénario des jours précédents semblent se répéter. Je décide donc de changer légèrement ma ligne pour passer en dessus d’un lac de rétention, qui sont normalement, de bons déclencheurs thermiques. Le bip de mon vario se fait attendre mais finit enfin par arriver. J’optimise le noyau qui reste très faible et indique à la radio que j’ai « quelque chose ». Clément me rejoint à mon altitude et Yael arrive juste sous mes pieds. Son aile passe moins de 5 mètres sous mon cocon. Cela semble rien (surtout comparé à 500km) mais ces quelques mètres ont suffi à transformer les prochaines minutes du vol de Yael en un moment des plus désagréables de son périple. En effet, alors que Clément et moi montons dans notre thermique, elle n’arrive pas à monter et dérive à plus de 30km/h en dessus du bush et qui plus est, dans une zone qui n’offre aucun atterrissage possible. Après plus de 2 kilomètres de dérive, elle arrive sur une crête de quelques dizaines de mètres de haut seulement, entièrement recouverte d’une épaisse végétation. Yael applique à la lettre la notion du « coup de poker » : ce sera soit une sortie par le haut soit un « abrissage » dans les kékés brésiliens. Heureusement le moment de délivrance arrive enfin, le thermique déclenche au passage de la crête et nous la voyons enfin remonter sous nos pieds alors que nous sommes déjà plusieurs centaines de mètres plus haut. Soudain, un rugissement arrive à nos oreilles ; c’est Yael qui nous faire part, à sa manière, de sa détermination. Je me dis qu’avec une telle opiniâtreté, nous allons forcément aller loin. Moins d’une heure plus tard, un autre signe annonciateur que cette journée allait devenir exceptionnelle survient car les 6 pilotes, qui partageaient un café que quelques heures plus tôt, se retrouvent dans le même thermique. Il faut savoir que pendant les quinze derniers jours, les statistiques étaient implacables : chaque jour, au moins 50% des pilotes posaient dans les premiers 30 kilomètres de vol. Mais ce 12 octobre, nous avons décidé de faire mentir les chiffres et à 30 kilomètres de Caico, nous sommes 6 pilotes enroulant le même thermique et sommes déterminés à aller loin !
Une cigogne / héron « suisse » nous accompagne sur plus de 150 kilomètres
Alors que le vent nous pousse sur une ligne de vol passant bien plus au nord que tous les jours précédents, la masse d’air s’assèche considérablement au point que les cumulus disparaissent. En revanche, les thermiques sont toujours bien présents et deviennent rugueux. L’Enzo 3 de Pascal nous gratifie de quelques « clins d’œil » nous rappelant qu’il est préférable de rester bien au centre de l’ascendance. Alors que nous peinons à reprendre de l’altitude dans un ciel toujours dépourvu de cumulus, un oiseau blanc apparait comme par enchantement sous nos pieds. Non seulement, il enroule le même thermique que nous mais il bat en même temps des ailes pour nous rattraper. En arrivant à notre hauteur, nous nous demandons si c’est une cigogne ou un héron cendré. Après plusieurs recherches sur Internet, j’en arrive à la conclusion que c’était une grande aigrette faisant partie de la famille des hérons. Notre sport nous donne la chance de voler régulièrement avec des oiseaux mais ce qui arriva avec « notre » aigrette est tout simplement incroyable et cela ne m’était jamais arrivé auparavant en 25 ans de vol libre : en effet, cette aigrette a enchainé les transitions avec nous sur plus de 150 kilomètres. Parfois, elle partait devant nous et revenait vers nous face au vent pour nous attendre. Parfois disparaissait pour réapparaitre sous nos pieds dans le thermique suivant. Michi Sigel, qui finit systématiquement plus haut que nous dans le thermique, a dû même admettre à la radio sur un ton mi-agacé mi-amusé qu’il avait trouvé son maître !!!!
Notre aigrette était toujours avec nous lorsque les cumulus et rues de nuages ont commencé à réapparaitre. Elle a donc largement mérité un passeport suisse pour son aide lors de cette traversée du grand bleu !!!
Plafond à 3200 mètres
Après un point relativement bas du à un choix de ligne bien hasardeux, Clément et moi-même recollons avec nos camardes de jeu au moment où la marque des 400 kilomètres est déjà derrière nous alors qu’il est à peine 15 heures. C’est un moment clé de la journée car les larges convergence de fin d’après-midi créent de grandes zones d’ombre qui peuvent rendre une sortie des basses couches difficiles. Yael, propose à juste titre, de tirer le « frein à main » pour prendre le temps d’aller se coller sous le nuage. Quel choix judicieux ; après quelques tours dans un thermique mal organisé, nous sommes gratifiés par un solide 4m/s qui nous propulse à plus de 3000 mètres !!! A ce moment là, la magie du Sertao opère : nous glissons à plus de 80 km/h dans une convergence qui nous fait passer les 470 kilomètres. Cela veut dire que Yael vient de rebattre le record du monde établi 3 jours auparavant par Seiko. Je la félicite à la radio en faisant un gag qui, sur le moment, ne semble faire rire que moi. Mes acolytes du jour m’avouerons que plus tard qu’ils se sont aussi bien marrés mais qu’il fallait rester concentré car les 500 kilomètres n’étaient pas encore passés.
Une grande aigrette de ce type nous a accompagné sur plus de 150 kilomètres
Les fameuses rue de nuages du Sertao qui boostent nos moyennes de vol en fin de journée
Le thermique salvateur de Sebastian
Alors que nous arrivons vers un plateau, notre convergence cesse d’être active et nous commençons à perdre de l’altitude. Yael et moi-même assurons nos lignes et laissons le groupe partir devant. Michi, Pascal et Clément prennent une ligne plus au nord dans une zone très ombragée alors que Sebastian part plus au sud. J’observe tout ce petit monde sur mon Oudie… et oui, avec la nouvelle technologie Fanet, nous pouvons voir en temps réel la position des autres pilotes, leur altitude et taux de chute ! Sebastian tombe littéralement du ciel lorsque nous commençons à discuter avec Yael de nos différentes options. Comme nous dialoguons sur un canal commun, tout le monde entend notre discussion et je mentionne évidemment que Sebi semble en mauvaise posture. Soudainement, j’entends sa voix grésillé dans la radio pour nous annoncer qu’il a « fini » de tomber du ciel et qu’il est même dans un thermique bien établi. Encore un grand merci à lui d’avoir joué à l’éclaireur et de nous avoir « dégoté » cette ascendance qui nous permet à tous de passer les 500 kilomètres lors de la transition suivante !!!!! Sebi a un réel un don pour prendre des lignes uniques et trouver des thermiques. J’ai arrêté de compter le nombre de fois où il a pris sa propre ligne qui finalement fonctionne aussi bien voir mieux que la ligne choisie par le groupe.
La barre des 500 kilomètres franchies
Les minutes suivantes resteront à jamais dans nos mémoires et l’émotion qui m’a envahi à ce moment est indescriptible. Je vous laisse juste vous imaginez la sensation extraordinaire que l’on ressent quand votre GPS indique que vous êtes à 500km de votre point de décollage, que les six pilotes qui ont décollés du même endroit sont toujours ensembles après plus de 10 heures de vol et que vous avez juste sous vos pieds, Yael Margelisch qui devient donc la PREMIERE FEMME AU MONDE A PASSER EN VOL LIBRE LA MYTIQUE BARRE DES 500 KILOMETRES !!!! Ce record sera certainement battu un jour mais Yael a marqué notre sport ce fameux 12 octobre car l’histoire retiendra qu’elle a été la première femme à franchir la barre des 500 kilomètres et çà, personne ne pourra lui enlever !!!! Un grand bravo à elle pour cette performance hors du commun.
Dès ce moment, la fin du vol se transforme en bonus et nous optimisons les dernières minutes de la journée pour finalement posé après avoir parcouru plus de 550 kilomètres. Michi Sigel nous avait quand même averti que l’on se dirigeait vers une zone avec très peu de route mais cela n’a peu d’importance et posons dans un coin effectivement très reculé. Tellement reculé que l’un des 2 chauffeurs qui nous suivait s’est perdu dans un labyrinthe de pistes et a failli finir ensablé. Nous finirons par tous se retrouver à… une pizzeria qui semble avoir été parachutée juste pour nous au beau milieu de la pampa brésilienne. Les bières coulent à flot et nous prenons tout notre temps pour savourer ce moment magique. Nous sommes 6 pilotes à avoir passé ce jour-là les 500 kilomètres ce qui veut aussi dire que les 9 pilotes de notre expédition ont passé au moins une fois cette marque pendant notre quinzaine brésilienne. What at a team !!!!
Après 2 heures de piste, nous arrivons enfin à notre hôtel. Cette fois-ci, Andy nous a trouvé un magnifique hôtel qui se trouve à 1000m d’altitude, sur le plateau que nous avons survolé quelques heures auparavant. Et pour couronner le tout, notre voiture de location avec tous nos bagages à l’intérieur est parquée devant l’hôtel. Effectivement, Andy et son organisation nous ont organisé une logistique 5 étoiles en s’assurant que nos affaires nous suivaient afin que l’on puisse directement conduire le lendemain sur Fortaleza pour attraper notre avion à l’heure.
Cette annéee, les conditions brésiliennes ont été généreuses avec nous, permettant de vivre une très belle histoire faite de rebondissements qui ont pimentés nos deux semaines. Il n’a finalement pas manqué grand chose pour passer la barre mythique des 600 kilomètres mais pour l’heure, nous profitons encore un maximum des émotions incroyables partagées pendant cette aventure et attendons avec impatience la saison 2020;-)
Remerciements
Je remercie tout d’abord ma famille qui me laisse vivre de telle aventure et qui me soutient durant toutes ces années de vol libre.
Un grand merci à notre fédération, la SHV-FSVL, qui innove en soutenant de telles expéditions depuis maintenant 3 ans.
GRANDE OBRIGADO to the entire FlyWithAny team. Andy, Egidijus, Galego, Michael, Simone, Wagner & Zoio: without you, those incredible 2 weeks would not be possible !!!
Merci aussi à la famille de Jeronimo Saunier qui nous a accueilli à Canoa Quebrada lors de notre arrivée.
Clement, Michi K, Michi. S, Pascal, Patrick, Peter, Sebi, Yael, ; those 2 weeks were amazing and I enjoyed every single minute we spent together in the Sertao. I am looking forward to seeing all of you soon on a take off 😉
Dermier glide au couché de soleil pour notre expédition 2019
12 octobre 2019 = 6 pilotes x 500 kilomètres
Vidéo réalisée par Yael Margelisch (https://www.yaelmargelisch.com/) résumant son vol record de 552 kilomètres.
Genial , encore un grand bravo a vous tous !
Un immense merci pour ce très très beau récit. Félicitations à Yaël et à vous tous!
Merci pour le partage de cette aventure et bravo à l’équipe!
Super bravo, Reynald! Le Roi du Jura ne s’est donc pas contenté de son trône. Joli récit et bravo à toute c’t’équipe. Bravo Yaël… du coup, on peut supprimer la catégorie femme en compétition de parapente. Bravo à Clément, toujours bien en forme. Depuis mon canapé, je suis émerveillé par vos exploits.